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L'avion, l'oiseau et autres considérations (extrait de INITIATION À LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE) Par MARCEL LACROIX Université de Sherbrooke (le document complet : http://mecano.gme.usherbrooke.ca/~mlacroix/ING610/) Pour comprendre le texte suivant, il vous suffit
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de maîtriser la règle de 3
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de savoir que 103 signifie
1 000 (et 109 = un million)
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que le Joule est l'unité
d'énergie officielle (1 Calorie = 4,18 Joules), par exemple : un radiateur de 1
000 watts dispense 1 000 Joules d'énergie (chaleur) en 1 seconde. (Note du webmestre de LaVieDuBonCote.info). Selon moi une des inventions les plus surprenantes et les plus belles (décidément on n’échappe pas à ce qualificatif) de la nature fut celle de l’oiseau il y a environ 100 millions d’années. Je ne me lasse jamais de les observer en plein vol. Ils sont imbus de grâce, d’agilité et de liberté. Je les envie. Je peux nager comme un poisson, marcher comme un bipède mais je ne peux pas voler comme un oiseau. Voler est une extravagance de la nature. L’OISEAU ET L’AVION En plein vol, le poids de l’oiseau ou de l’avion est compensé par la portance des ailes alors que la traînée est surmontée par la poussée. La poussée est assurée, chez l’oiseau, par le battement des ailes et dans l’avion par les moteurs. Le défi principal de la nature ou de l’ingénieur en aérodynamique est alors de concevoir une machine volante dont le rapport de la portance à la traînée est maximal. Pour un avion, ce rapport varie de 10 à 40. Chez l’oiseau, il prend des valeurs entre 6 et 24. Ce résultat peut sembler surprenant à prime abord mais il faut dire que des critères beaucoup plus contraignants ont dicté la conception, ou plutôt l’évolution, de l’oiseau. Par exemple, l’oiseau doit être en mesure de voler entre les branches, de se poser en douceur dans un arbre, de construire un nid et de pondre des œufs. J’imagine la tête que ferait un ingénieur à qui on imposerait de respecter ces critères dans la conception d’un engin volant... Comparons tout de même les besoins énergétiques d’un oiseau et d’un avion dont le rapport portance/traînée est le même soit 15. Ce rapport est typique chez les gros transporteurs aériens. L’oiseau a une masse de 300 g soit un poids d’environ 3 N (Newton ; unité de poids, le gramme est l'unité de masse). Puisque la portance compense le poids, on en déduit que la traînée sera de 3/15 = 0.2 N. Si l’oiseau se déplace à 15 m/s, la puissance requise sera de 0.2 N X 15 m/s = 3 W. Supposons maintenant que cet oiseau migre dans le sud et entreprenne un vol de 3 000 km sans refaire le plein (sans manger). L’énergie dépensée pour vaincre la traînée est donnée par le produit de la force de traînée et de la distance parcourue soit 0.2 N X 3 x 106 m (mètres) = 0.6 MJ (MégaJoules). Cette énergie est emmagasinée sous forme de gras. En pratique, les matières grasses fournissent 40 MJ par kilogramme mais environ 7.5 % de l’énergie chimique est convertie en énergie mécanique (2e loi de la thermodynamique). Le reste est dissipé en chaleur. 3 MJ par kilogramme de gras sont donc convertis en énergie utile et la masse de gras requise pour couvrir 3 000 km sera 0.6 MJ/3 MJ/kg soit 200 g. Dans ces calculs, très approximatifs, j’ai supposé que la masse de l’oiseau demeurait constante. En réalité, l’oiseau subira une perte de masse relativement importante. Si au départ sa masse est disons 400 g, à l’arrivée elle ne sera plus que 200 g de sorte que sa masse «moyenne» sera environ 300 g.
Puisque la traînée ne dépend que du poids et du concept aérodynamique de l’oiseau, et puisque le travail est le produit de la force et de la distance, la vitesse affecte peu la consommation de carburant pour couvrir une distance donnée. Elle influence toutefois la puissance débitée. On sait d’autre part qu’il faut 1 kg de masse musculaire chez l’oiseau pour développer 50 W. Pour débiter 3 W, comme c’est le cas ici, il faut donc 3W/50W/kg = 0.06 kg de muscle. Cela représente 30 % de la masse totale de l’oiseau (0.06 kg/0.2 kg). 70 % de la masse restante comprend les autres muscles, les matières grasses, la tête, les systèmes respiratoire, de circulation et de digestion, les pattes et les plumes. Cet exemple démontre à quel point voler est difficile presque qu’une anomalie dans le monde vivant. Concevoir une machine vivante volante est à la limite du possible.
À cause des effets d’échelle de grandeur, il est moins difficile pour des petits organismes de voler. La nature a conçu les oiseaux principalement pour voler. Le vol sur place consomme davantage d’énergie. En fait, il nécessite environ deux fois plus d’énergie que le vol en déplacement. Il n’est pas surprenant alors que les organismes vivants réussissant cet exploit pèsent moins de 20 g (oiseau-mouche, insecte).
Examinons maintenant le cas de l’avion. Un inconvénient majeur du gros transporteur vis-à-vis l’oiseau est sa grande masse. En revanche, sa conception est assujettie à des contraintes beaucoup plus simples. On ne demande pas à l’avion de se poser en douceur sur une branche ou de pondre un œuf. De plus, le rapport puissance débitée/masse des moteurs est beaucoup plus élevé que celui des muscles et l’efficacité de la conversion de l’énergie chimique en énergie mécanique est supérieure. Supposons que la masse de l’avion soit 150 tonnes. Le rapport portance/traînée est, rappelons-le, 15. Le poids est alors 1500 kN et la traînée sera le quinzième du poids soit 100 kN. Pour parcourir 3 000 km, il faudra dépenser 100 kN x 3 x 106 m = 300 000 MJ. Les turbines à gaz convertissent environ 33 % de l’énergie chimique en énergie utile soit 1/3 x 40 MJ par kilogramme de combustible. La masse de combustible requise sera alors 300 000 MJ/1/3 x 40 MJ/kg = 22.5 tonnes soit 15 % de la masse totale de l’avion. Si l’avion se déplace à 250 m/s, la puissance requise sera 100 000 N x 250 m/s = 25 MW. En régime de croisière, le rapport puissance/masse des turbines à gaz est d’environ 6 kW/kg. La masse des moteurs représente alors ici 4 tonnes, soit 3 % de la masse totale de l’avion.
PUISSANCE DE CRÊTE Afin de s’arracher du sol, l’oiseau comme l’avion doit disposer, au moment du décollage, d’une puissance de crête égale à plusieurs fois la puissance de croisière. Pour ce faire, l’oiseau compte sur des fibres musculaires rouges et blanches. Les tissus musculaires rouges doivent leur couleur foncée à la présence d’une protéine appelée myoglobine. Cette protéine participe au procédé chimique dans lequel les matières grasses combinées à l’oxygène libèrent de l’énergie. Environ 20 % de cette énergie est convertie en énergie utile alors que 80 % est dissipée en chaleur. Les fibres musculaires rouges qui nécessitent un apport constant d’oxygène via les systèmes respiratoire et de circulation sont donc sollicitées lors d’un effort constant et prolongé. Les fibres musculaires blanches utilisent, d’autre part, de l’énergie moins concentrée stockée dans le glycogène. Les réactions chimiques se produisent sans la présence d’oxygène de sorte que les fibres blanches peuvent développer une grande puissance pendant une courte période de temps. Ce sont les fibres blanches qui sont sollicitées au moment du décollage et les fibres rouges en régime de croisière. Les poulets sont les descendants d’une espèce d’oiseaux qui volaient occasionnellement, se déplaçant le plus souvent sur leurs pattes. C’est la raison pour laquelle la chair de leur poitrine est blanche alors que celle des cuisses est foncée. La chair du lapin est blanche car cet animal compte sur sa vitesse explosive pour échapper à ses prédateurs alors que la chair du lièvre est foncée puisque ce dernier réussit à semer ses prédateurs en courant de longues distances.
Un athlète peut déployer, pendant quelques dizaines de secondes, une puissance de 1 kW. Après une minute, le combustible anaérobique (sans oxygène) est épuisé et la puissance chute à 700 W. Au bout de deux minutes environ l’athlète peut poursuivre son activité mais en débitant seulement 400 W grâce à la consommation aérobique (avec oxygène). Il ne pourra fournir un nouvel effort court et violent que lorsque sa réserve de combustible anaérobique (glycogène) se sera renouvelée. Le sprinter olympique (courses de 100 m et 200 m) compte sur le procédé anaérobique pour réaliser ses performances alors que le coureur de fond (courses de 1 500 m et plus) s’appuie sur le procédé aérobique. Il n’est pas surprenant alors que le gabarit de ces athlètes soit si différent. Mais le coureur de 800 m, qui couvre cette distance en moins de 2 minutes, dépend à la fois de la combustion anaérobique et de la combustion aérobique. Il doit être à la fois sprinter et coureur de fond. C’est la raison pour laquelle la course de 800 m est, selon les athlètes, la course la plus difficile. À titre d’information et de comparaison, je présente, dans le tableau suivant, l’énergie spécifique et la puissance spécifique de différents combustibles et systèmes de stockage.
ÉNERGIE SPÉCIFIQUE (kJ/kg)
Marée motrice 0.04 Ressort d’une montre bracelet 0.04 Ancienne catapulte 0.1 Saut d’une puce 1.5 Catapulte moderne 10.0 Roue d’inertie (250 m/s) 25.0 Eau dans une bouilloire (100oC) 39.0 Accumulateur électrique 80.0 Eau dans une bouilloire (230oC) 230.0 Poudre à canon
2.8 x 103 Combustible à fusée
9.0 x 103 Hydrocarbures (gaz, huile, etc.) 40.0 x 103 Réaction de fusion nucléaire 24.0 x 109
PUISSANCE SPÉCIFIQUE (kW/kg)
Muscle 0.05 Batterie plomb/acide 0.18 Moteur électrique 0.25 Moteur à piston 1.5 Turbine à gaz 6.0 Même si sa puissance spécifique ne représente que le sixième de celle de l’oiseau, l’homme a néanmoins réussi à voler à bord d’appareils à propulsion humaine. Il a même traversé la Manche ainsi. Son handicap musculaire était compensé par une voilure considérablement accrue (faible vitesse) et une meilleure efficacité de propulsion (engrenages).
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